Textes et références

SOLBOCH

Bâtiment D :
- CAMUS, Albert. « Les quatre commandements du journalisme libre », Le Soir Républicain, 1939. (L'article publié devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain", un quotidien limité à une feuille recto verso que Camus codirige à Alger. Macha Séry a retrouvé ce texte aux Archives nationales d'outre-mer, à Aix-en-Provence. Camus dénonce ici la désinformation qui gangrène déjà la France en 1939.

Bâtiment U :
- BEEKEN, Abel Louis Adrien. « JEAN BURGERS ou la primauté de l’esprit », dans Message pour Philomène. Bruxelles : Ed. du Métro, 1948, p.45-46.

- BEEKEN, Abel Louis Adrien. « QUELQUES GROS PLANS », dans Message pour Philomène. Bruxelles : Ed. du Métro, 1948, p.50.
- BERVOETS, Marguerite. « Rêve païen », dans Chromatisme : Poèmes. Bruxelles: [s.n.], 1932, p.35-36.  
- PRIGOGINE, Ilya, et STENGERS Isabelle. « Conclusion » dans La nouvelle alliance : métamorphose de la science. [2e Ed.]. Paris: Gallimard, 1986, p.391-392.
- PRIGOGINE, Ilya, et STENGERS Isabelle. « Introduction » dans La nouvelle alliance : métamorphose de la science. [2e Ed.]. Paris: Gallimard, 1986, p.32.

- SEALS, Luna. Illustrations d’animaux. Travail original. Droit Luna Seal ©.

 

Bâtiment S :
- Originaux ULB Sports.

 

PLAINE


Bâtiment NO :
- ANTOUN, Anthony. « Equations espiègles ». Travail original.

Bâtiment BC :
- PRIGOGINE Ilya (propos recueillis par De BARELLI T., et MOAL Philippe) (1997, février). « Rencontre de deux cultures : humaniste et scientifique ». Les raisons de l’Ire, n°10, p.4-6.

 

ERASME
 

Bâtiment W :
- THIRY, Lise. « Recherche, Tendre Amie Une thèse un peu clandestine » (Chapitre XIV), dans Marcopolette : mémoires 1921-1977. Bruxelles: Ed. les Eperonniers, 1999, p. 227-228.

Bâtiment GE :
- SAKKA, Michel. « Introduction », dans Histoire de l’anatomie humaine. Paris: Presses Universitaires de France, 1997, p. 3-4.
- SAKKA, Michel. « Les débuts de l’anatomie (chap. I) V.- L’Ecole d’Alexandrie», dans Histoire de l’anatomie humaine. Paris: Presses Universitaires de France, 1997, p. 31.
- SAKKA, Michel. « Les XVIIIe et XIXe siècles (chap. III) II. La neuro-anatomie», dans Histoire de l’anatomie humaine. Paris: Presses Universitaires de France, 1997, p. 108
- SAKKA, Michel. « Conclusion », dans Histoire de l’anatomie humaine. Paris: Presses Universitaires de France, 1997, p. 125.

 

Solbosch Bâtiment D

"les quatre commandements du journaliste libre" : lucidité, refus, ironie et obstination Albert Camus


(1939, l'écrivain veut publier dans le journal qu'il dirige à Alger un texte vibrant qui invite les journalistes à rester libres.)

 

Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance, accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.

Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain (le journal, publié à Alger, dont Albert Camus était rédacteur en chef à l'époque), par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'expriment que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

 

Solbosch Bâtiment U

- Août 1930, M. Bervoets, Rêve païen dans Chromatisme.

Quand l’étoile parut au ciel qui s’alourdit,
Et que mon cœur lassé aspirait à la nuit,
Doux séjour de l’oubli, je vous vis revenir,
Hantise de mon âme, ô caprice, ô idole !
Vous êtes tout mon cœur qui ne pourrait mourir…
Voici l’apparition dont le désir m’affole…

Vos bras de bronze clair s’encerclaient d’émeraude,
Et le fakir soumis, celui qui toujours rôde,
Venait lacer sans bruit sur vos pieds frémissants
Jusqu’aux tendres genoux des bottes de serpent.
Vous portiez le soleil sur votre tête sombre,
Il s’épanouissait comme une fleur sans ombre,
Versait sur vos cheveux un flot d’astres vermeils,
Si bien qu’il n’était plus une nuit sans soleil.
Votre main sculpturale avait un sceptre clair,
Que n’adornaient rubis, topazes ni opales,
Ce n’était qu’un rosier chargé de roses pâles,
Dont tous les cœurs étaient dorés d’avoir souffert ;

La rosée y glissait parfois de longues larmes.
Ardents, épanouis, ils te vouaient leur charme,
Leurs piquants, acérés s’émoussaient sur ta chair ;
Ton corps svelte moulait une tunique mince,
Aux plis harmonieux, réguliers et tombants,
Et luisant, fruit doré, dans l’azur enivrant.
Je devenais alors un assez galant prince,
Chevalier intrépide au turban armorié,
Mon glaive étincelait au levant qui s’annonce,
Mes yeux d’astres errants semblaient illuminés ;
Et tous deux, éclatants, dressés au cœur des ronces,
Nous gravissions les montes où siège, inaccessible,
Le Bonheur souverain, plus beau d’être impossible,
Et l’Amour infini, plus pur d’être idéal.

 

- La nouvelle Alliance– Métamorphose de la science. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

Le dialogue expérimental renvoie à deux dimensions constitutives des rapports homme-nature : comprendre et modifier. L’expérimentation ne suppose pas la seule observation fidèle des faits tels qu’ils se présentent, ni la seule quête de connexions empiriques entre phénomènes. L’expérimentation exige une interaction entre théorie et manipulation pratique, qui implique une véritable stratégie. Un processus naturel se trouve arraisonné comme clef possible d’une hypothèse théorique ; et c’est en tant que tel qu’il est alors préparé, purifié, avant d’être interrogé dans le langage de cette théorie. C’est là une entreprise systématique qui revient à provoquer la nature, à lui faire dire de manière non ambiguë si elle obéit ou non à la théorie.

Les Hommes de science ont, de cent façons, raconté cet enchantement : d’avoir rencontré la « bonne » question leur vaut la bonne fortune de voir se rassembler les pièces éparses, et l’incohérence fait place à la logique close. Nous connaissons tous des récits de ce type à propos de telle découverte célèbre ; mais chaque chercheur a connu cette expérience, qu’il ait percé à jour une petite ruse ou un secret majeur. En ce sens, la science peut être décrite comme un jeu à deux partenaires : il s’agit de deviner le comportement d’une réalité distincte de nous, insoumise à nos croyances, à nos ambitions comme à nos espoirs. On ne fait pas dire tout ce qu’on veut à la nature, et c’est parce que la science n’est pas un monologue, parce que l’ « objet » interrogé ne manque pas de moyens pour démentir l’hypothèse la plus plausible ou la plus séduisante, bref, parce que le jeu est risqué, qu’il est est source d’émotions rares et intenses.

La nouvelle alliance – Métamorphose de la science. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, p’32

Quel est ce monde à propos duquel nous avons réappris la nécessité du respect ? Nous avons successivement évoqué la conception du monde classique et le monde en évolution du XIXème siècle. Dans les deux cas, il s’agissait de maîtrise, et du dualisme qui oppose le contrôleur et le contrôlé, le dominant et le dominé. Que la nature soit une horloge ou un moteur, ou bien encore qu’elle soit le chemin d’un progrès qui mène vers nous, elle constitue une réalité stable dont il est possible de s’assurer. Que dire de notre monde qui a nourri la métamorphose contemporaine de la science ? C’est un monde que nous pouvons comprendre comme naturel dans le moment même où nous comprenons que nous en faisons partie, mais dont se sont évanouis, du coup, les anciennes certitudes : qu’il s’agisse de musique, de peinture, de littérature ou de mœurs, nul modèle ne peut plus prétendre à la légitimité, aucun n’est plus exclusif. Partout, nous voyons une expérimentation multiple, plus ou moins risquée, éphémère ou réussie.

Ce monde qui semble renoncer à la sécurité de normes stables et permanentes est certes un monde dangereux et incertain. Il ne peut nous inspirer nulle confiance aveugle mais bien peut-être le sentiment d’espoir mitigé que certains textes talmudiques ont, paraît-il, attribué au Dieu de la Genèse : « Vingt-six tentatives ont précédé la genèse actuelle, et toutes ont été vouées à l’échec. Le monde de l’homme est issu du sein chaotique de ces débris antérieurs, mais il ne possède lui-même aucun label de garantie : il est exposé, lui aussi, au risque de l’échec et du retour au néant. « Pourvu que celui-ci tienne » (Halway Shéyaamod), s’écrie Dieu en créant le monde, et ce souhait accompagne l’histoire ultérieure du monde et de l’humanité, soulignant dès le début que cette histoire est marquée du signe de l’insécurité radicale ».

La nouvelle alliance – Métamorphose de la science. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, p’391 -392

 

- Message pour Philomène, Abel Louis Adrien BEEKEN, Editions du MéTRO – Bruxelles

Page 45 :
De notre formation intellectuelle et morale découlent, tout naturellement, nos actes lesquels extériorisent la puissance, la quintessence de notre préparation mentale. C’est ce qu’a si clairement défini l’incontestable animateur du plus puissant mouvement de résistance à l’ennemi pendant la guerre.
Jean BURGERS, avec cette clarté d’expression et cet esprit de synthèse qui caractérise ce héros formé aux sources limpides du libre examen l’a exprimé par une phrase lapidaire :
LE SALUT NE VIENDRA PAS D’ESPRITS AU GARDE A VOUS !
« Esprits au garde à vous », raccourci saisissant qui stigmatise ces mentalités inférieures, lesquelles attendent l’ordre, le commandement, la tyrannie d’un autre homme que dans leur faiblesse mentale ils acceptent comme leur guide indiscuté.

Le groupe « G » fut, parmi les nombreux groupements, celui dont l’esprit était la dominante. Ses dirigeants puisèrent toute leur force et leur dynamisme dans leur intelligence.
Il fallait des hommes qui sachent dire NON, qui sachent se sacrifier, mourir pour ce NON.
C’est cet esprit-là que Jean BURGERS et ses proches compagnons surent insuffler au Groupe « G ».

Page 46 :
Autour de Jean BURGERS et de ses amis de la première heure vinrent se grouper des personnalités dont la formation intellectuelle contribua a doter le Groupe « G » d’une organisation basée sur des conceptions scientifiques et lui assura une part de son efficacité dans le travail de sabotage.
Quand, un jour, le chef tombe, face à l’ennemi, le mécanisme qu’il a créé ne s’arrête pas tellement les rouages sont bien ajustés, bien huilés. S’il y a un petit choc, immédiatement une main nouvelle saisit le levier de commande et le moteur continue de tourner en rond et d’accomplir sa mission d’ébranlement de la machine de guerre ennemie.
C’est dans le milieu universitaire de l’U.L.B. que le « G » trouva ses éléments de départ. La formation spirituelle des étudiants, des ingénieurs, des professeurs les porta immédiatement aux côtés d’hommes pleins de volonté et d’ardeur.  (…)
Jean BURGERS, qui jusque là s’était maintenu dans le rang, se dressa, ramassa le flambeau tombé des mains des WENDELEN et de ses amis. Il en ranima la flamme.

Page 50 :

Robert LECLERCQ, né en 1917, licencié en philosophie et lettres de l’U.L.B., se charge dès que les tâches essentielles sont distribuées, c’est-à-dire fin 1942, de l’écrasante organisation des « renseignements » où tout est à faire. (…)
Robert LECLERCQ, de l’avis de tous ses compagnons d’armes, incarne à un très haut degré les qualités qui ont fait la grandeur et la valeur du Groupe « G » : idéal patriotique, pureté inattaquable des buts, organisation scientifiquement basée sur la raison et la méthode.

 

Plaine Bâtiment BC

Interview réalisée par Tatiana de Barelli et Philippe Moal de la revue française « Les Raisons de l’Ire », publiée dans le n° 10 de février 1997

RENCONTRE DE DEUX CULTURES : HUMANISTE ET SCIENTIFIQUE

LRI : Vous remettez en question des théories qui datent du XIXe siècle…

IP : Le XIXe siècle nous a laissé deux conceptions contradictoires. D’un côté, les lois de la nature applicables aux mouvements réversibles. On pensait que toutes les manifestations de la nature étaient décrites par ces lois, or ce n’est pas vrai. D’un côté vous avec la loi réversible du mouvement planétaire et de l’autre côté vous avez la conductivité thermique, qui est un exemple de phénomène irréversible dans lequel se manifeste la flèche du temps. La flèche du temps est ce qui est commun à tout l’univers. Vous vieillissez dans la même direction que moi. Toutes les étoiles évoluent dans la même direction temporelle. Autant qu’on le sache, tous les objets de l’univers évoluent dans la même direction temporelle. Ce qui est commun à notre univers, c’est la direction du temps. Cette flèche n’émerge pas au niveau de trajectoires individuelles, mais au niveau de grands ensembles. De « populations » de particules ou de molécules. Pour comprendre l’univers, on ne peut pas le disséquer en unités indépendantes. D’ailleurs, beaucoup de chercheurs ont affirmé avant moi qu’il y avait des limites au réductionnisme. Il faut voir la nature dans son ensemble.

LRI : En tant qu’homme, comment expliquez-vous l’évolution de votre pensée et de vos choix personnels ?

IP : Ma vie a toujours été à cheval entre deux cultures. Quand j’étais adolescent, je me suis surtout intéressé à l’histoire, à l’archéologie et à la musique, domaines dans lesquels le temps joue un rôle très important. Je me suis également intéressé à la philosophie, dans laquelle le temps a aussi le rôle central. La première vision que l’homme a eue de l’univers, c’est la vision mythologique, une vision associée aux religions. La mythologie associait le début de l’univers à l’action, à la transformation du chaos en structure. D’après Platon, les premiers philosophes étaient les philosophes du devenir. C’est aussi l’idée d’Héraclite : le changement à la base de la pensée philosophique. Mais comment expliquer le changement ? Presque toute la métaphysique occidentale s’est développée en réaction contre le devenir, par la recherche d’essences, de permanence, de substances, de ce qui est en dessous, de ce qui est stable. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, avec les romantiques allemands, avec des penseurs comme Bergson ou Heidegger, avec les existentialistes et les phénoménologues, qu’a émergé une philosophie du temps. Mais cette philosophie du temps s’est coupée en quelque sorte de la science parce que la science fondamentale restait associée à la philosophie de l’être et non à celle du devenir.

LRI : La flèche du temps est l’un de vos thèmes de prédilection ?

IP : Tout à fait. Lorsque j’étais jeune chercheur, je demandais aux philosophes : « Qu’est-ce que le temps ? » Ils me répondaient que c’était le problème le plus difficile, le problème ontologique par excellence comme le disait Heidegger. Quand j’ai posé la même question aux physiciens, ils m’ont dit : « votre question est triviale, Newton y a répondu, Einstein a un peu modifié la vision newtonienne, nous nous étonnons donc que vous posiez la question ». J’étais devant une contradiction et tout mon travail a consisté à essayer de lever cette contradiction, mais de la lever de l’intérieur de la science. En somme, Einstein disait : « Si le temps n’est pas dans les équations de la physique, c’est qu’il n’existe pas ». D’autres ont dit au contraire que si la direction du temps n’était pas incluse dans la science fondamentale, c’est que la science n’atteignait que le superficiel, comme l’affirmaient Heidegger ou Bergson. J’ai pensé que le temps devait émerger du complexe et ce fut là une préfiguration de ce que j’ai découvert par la suite. La flèche du temps émerge de situations complexes impliquant des populations entières de particules et non des trajectoires individuelles. En dernière analyse, il émerge de l’univers dans son ensemble. Il faut tenir compte de la persistance des interactions, comme dans cette chambre où les molécules de l’atmosphère s’entrechoquent continuellement. C’est à que le temps naît. Le point de vue philosophique a donc été mon point de départ ; mais plus j’avançais en science, plus j’étais renforcé dans mon point de vue philosophique et cela me donnait le courage de continuer dans cette direction. Ma vie a été ainsi un « feed-back », un va-et-vient entre les deux cultures, la culture humaniste et la culture scientifique.

LRI : Est-ce que vos recherches ont influencé votre vie d’homme ?

IP : Certainement ma vue de l’univers. Notre conception de l’univers devient de plus en plus inattendue. Nos ancêtres pensaient que la terre était au centre ; puis elle est devenue une planète comme les autres. On pensait d’abord que l’espace était infini ; maintenant on observe que l’espace forme une bulle qui ne cesse de s’étendre. Quant à l’origine de l’univers, le « big-bang », quelle qu’en soit la théorie, on voit mal pourquoi elle ne s’appliquerait qu’à notre univers. On doit donc imaginer l’existence d’autres univers. Nous arrivons là aux limites de notre imagination.

LRI : L’homme a-t-il un rôle à jouer dans l’univers ?

IP : Cela dépend comment vous considérez l’homme. Il n’y a pas d’homme isolé, nous vivons en société. L’homme peut jouer un rôle au niveau de l’humanité. Les grands prophètes ont modifié l’existence humaine, les grands scientifiques également. L’homme n’est pas condamné au non-signifiant. Il a des choix, il a des opportunités et nous sommes au début d’un développement nouveau. Mais, comme je l’ai déjà dit, nous sommes dans une période de fluctuations et personne ne sait quel en sera le résultat. Ce qui est certain, c’est que la condition humaine de nos jours est en train de changer.

 

Erasme Bâtiment GE

Histoire de l’anatomie humaine - Michel Sakka

Pages 3-4 :

L’histoire de l’anatomie montre que cette discipline est vivante. Elle a eu des débuts difficiles, puis elle a obtenu son statut scientifique, elle s’est développée, s’est différenciée en un certain nombre de spécialités. L’enseignement exclusif de l’état actuel de l’anatomie humaine et l’exigence de notions apprises par cœur, donneraient l’impression d’une science morte.

La recherche anatomique et l’appréhension du réel, s’agissant des structures organiques et de leur rôle physiologique, ont grandement influencé les concepts fondamentaux concernant l’humanité et ses rapports au monde à chaque époque de son évolution. Le développement du savoir anatomique a eu une importance considérable dans l’établissement des méthodes expérimentales de la recherche scientifique.

L’anatomie humaine qui étudie la structure du corps humain est une discipline biologique. Elle fait partie des sciences morphologiques. Le mot « anatomie », d’origine grecque, signifie « incision », et a été longtemps synonyme de « dissection ». Les descriptions anatomiques exigent une position de référence (la station debout, chez l’homme) et l’utilisation de trois plans de l’espace (sagittal, frontal, transversal) grâce à quoi toutes les structures peuvent être situées, orientées et décrites (siège, forme, direction).

Page 31 :

Les Ptolémées instituèrent la pratique de la dissection.

Hérophile aurait décrit l’anatomie du cerveau et des nerfs. Il fait naître ces derniers du cerveau, pressent leur rôle moteur et sensitif. Il continue d’utiliser le même nom pour désigner nerfs partant du cerveau et de la moelle, soumis à la volonté, et ceux qui (ligaments et tendons) unissent les os entre eux et les muscles aux os. Il réfute les théories d’Aristote sur les fonctions du cerveau et du cœur. On lui doit la description des sinus veineux du crâne dont la réunion à la face endocrânienne de l’écaille de l’occipital s’appelle encore le pressoir d’Hérophile, ou citerne, torcular. Il aurait bien décrit le quatrième ventricule du tronc cérébral : la rainure longitudinale de ce ventricule conserve le nom de calamus scriptorius qu’il lui a donné. Il aurait vu les vaisseaux de la base du cœur, avec l’artère pulmonaire qu’il appelle artère veineuse, et les veines pulmonaires qu’il nomme les veines artérieuses. Il aurait bien décrit les organes génitaux, les trompes utérines chez la femme, l’épididyme chez l’homme. Il nomme le duodénum, l’os hyoïde, étudie les pulsations artérielles.

Page 108 :

Localisation des fonctions intellectuelles supérieures – Paul Broca (1824-1880), est universellement connu comme celui qui démontra pour la première fois la localisation cérébrale d’une fonction intellectuelle supérieure, un des centres du langage. (…)

Un des hospitalisés de l’hospice est un hémiplégique, privé de l’usage de la parole depuis des années. Broca invente le terme d’aphémie pour qualifier cette affection qu’on appelle l’aphasie. La bataille entre les « localisateurs » dont est Broca et les « diffusistes » atteint son apogée dans les sociétés savantes. L’aphasique, surnommé Tan (tan était la seule syllabe qu’il prononçait), meurt le 17 avril 1861. Broca pratique l’autopsie, trouve sur le cerveau de Tan une lésion localisée, située sur la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale gauche. Il apporte ainsi la preuve d’un centre de la parole, appelé depuis l’aire de Broca.

Il prouve la focalisation, et par la suite, démontre la latéralisation, l’aire de Broca siège d’un seul côté du cerveau, le plus souvent à fauche chez les droitiers : il avait découvert le pôle moteur du langage. C. Wernicke, en 1874, trouve un pôle sensoriel du langage, et J. Déjerine, au début du XXe siècle, un pôle pour le langage écrit. Actuellement, la notion de centre est devenue moins absolue. On sait l’existence d’autres centres du langage et de nombreuses voies d’association qui les unissent.

Page 125 :

L’anatomie est une discipline scientifique en expansion. Elle constitue l’une des bases fondamentales de la chirurgie, de la médecine, de la physiologie, de la paléontologie, des activités physiques et sportives, voire de certaines pratiques scientifiques (biomécanique, bionique, bioinformatique, modélisation), artistiques (danse, peinture, sculpture), neuropsychologiques et philosophiques.  (…)

Avec deux mille ans de retard, elle répond à l’inscription du tempe de Delphes qui fut, dit-on à l’origine de la sagesse de Socrate : « Connais-toi toi-même .»